miércoles, 21 de septiembre de 2016

«Dans un monde néolibéral, le sommeil est un truc de losers»

«Dans un monde néolibéral, le sommeil est un truc de losers»

Dormir comme un loir, traîner au lit, s’amouracher de son matelas à mémoire de forme… c’est fini. Dans une société qui produit, consomme et tweete 24h/24, le sommeil est devenu une tare qui nuit à l’accomplissement de soi…
Tim Cook, le patron d’Apple, se lève à 3h45 du matin pour répondre à ses mails, Jack Dorsey, fondateur de Twitter, à 5h30, et Anna Wintour, la grande patronne de Vogue, n’arrive jamais au bureau après 6h. A cette heure-ci, le politique Pierre Maudet est déjà levé depuis deux heures, et Robert Iger, PDG de Disney, a couru 10 km et lu 10 scriptes. Des feignants comparés à Jean-Claude Biver, président de Hublot et PDG de TAG Heuer, qui affirme être sur le pont dès 2h30 du matin. «Ils disent que dormir est un cadeau de Dieu, je ne l’ai jamais reçu», fanfaronne également Indra Nooyi, patronne de PepsiCo, qui a déjà accompli une journée entière avant le lever du soleil.
Lire aussi notre conversation: Dormir: un «truc de loser», vraiment?
Depuis quelques mois, le réveil aux aurores des maîtres du monde est présenté comme la recette de leur réussite. Devancer le chant du coq serait même le secret d’une productivité hors norme. Cette méthode a un nom: «Early morning». L’Américain Hal Elrod, nouveau gourou de la tendance, prétend dans son best-seller «Miracle Morning» (First) qu’en se levant à 5h30 pour «dédier un moment à la personne que nous souhaitons devenir», le succès tombera du ciel. Ce n’est visiblement pas une science très exacte puisque l’entrepreneur Filipe Castro Matos fait la même chose avec une heure de décalage horaire. Dans sa conférence TEDx déjà vue 300 000 fois, il clame: «Comment se lever tous les jours à 4h30 peut changer votre vie.»

Dévots de l’aube

Dans les villes, des matines dédiées aux dévots de l’aube se développent aussi. Des «Creative Mornings», conférences mensuelles censées stimuler la productivité, aux «before works», qui invitent le salarié à venir ingérer un «power breakfast» à base du müesli au lait d’amande, et s’adonner à une séance de Pilates orchestrée par un DJ, avant de rejoindre son ordinateur, prêt à bouffer le monde… Et pour ceux qui ont encore du mal à sauter triomphalement hors de leur couette, l’application maso «Better Me» les menace d’envoyer un message à tous leurs amis Facebook pour alerter qu’ils ont osé laisser sonner plusieurs fois le réveil. Après avoir ratissé la méthode Coué (du genre, «en me fixant des objectifs ambitieux, ils se réaliseront»), le développement personnel s’empare du vieil adage: le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt.
Le problème, c’est qu’il appartient aussi à ceux qui se couchent de plus en plus tard. Entre e-shopping disponible 24h/24, flux d’actualité continu, réseaux 2.0 à alimenter pour «exister» socialement, et milliers de séries télé chronophages à voir sous peine de passer pour un Néandertalien à la cantine du boulot, le sommeil apparaît comme un frein à une existence sous stimuli constants. En un siècle, les Américains sont d’ailleurs passés de 10h de sommeil quotidien à 6h. Les Européens guère plus… Une biodérégulation organisée par les marchés dérégulés, selon Jonathan Crary qui, dans «24/7 Le capitalisme à l’assaut du sommeil» (Zones), dénonce une «inscription généralisée de la vie humaine dans une durée sans pause».
Car si «la plupart des nécessités apparemment irréductibles de la vie humaine – la faim, la soif, le désir sexuel et, récemment, le besoin d’amitié – ont été converties en formes marchandes et financières, le sommeil impose l’idée d’un besoin humain et d’un intervalle de temps qui ne peuvent être ni colonisés ni soumis à une opération de profitabilité massive», écrit l’universitaire New-Yorkais. Aussi le débine-t-on «au profit d’une prééminence accordée à la conscience et à la volonté: dans le paradigme néolibéral mondialisé, le sommeil est fondamentalement un truc de losers».

Rêverie inutile

Ce message porte d’autant plus que nous sommes aujourd’hui mis en concurrence avec des machines et des algorithmes qui, eux, ne dorment jamais. Pour ne pas devenir obsolète, il faut bien suivre… «Les moins de 40 ans dorment 6h par nuit, voire 5h, ce qui est très insuffisant, prévient Sylvie Royant-Parola, psychiatre spécialiste du sommeil et présidente du réseau Morphée. Avec l’industrialisation et l’électricité, le fantasme de toute puissance de l’homme sur la nature s’accompagne d’une volonté de maîtriser le temps, alors que chacun doit s’abandonner à son rythme de sommeil, dont le déficit favorise hypertension, obésité, perte de mémoire, etc. L’hyperstimulation lumineuse, sociale et intellectuelle de nos écrans atténue également la différence jour-nuit, provoquant un endormissement toujours plus tardif. Cette société digitale impose un rythme 24/24 à l’opposé de ceux de l’être vivant, qui sont cycliques.»
Mais nos yeux de hiboux rivés sur nos smartphones et tablettes rapportant de l’or aux magnats de la Silicon Valley (ceux qui affirment ne plus dormir), toujours plus de hochets numériques sont brandis pour faire ressembler la rêverie à une activité mortellement rasoir.

Humeur exécrable

Tristan Harris, ancien «philosophe produit» chez Google, dénonce aujourd’hui le système qui l’a fait vivre, mettant notamment en garde contre les notifications des applis, qui «nous manipulent pour nous faire perdre le plus de temps possible dans leurs interfaces. Ce qui est mauvais, c’est que nos écrans menacent notre liberté fondamentale de dépenser notre temps comme on le veut». Car non seulement les nuits, mais aussi l’attention, sont désormais colonisées, selon Yves Citton, qui a dirigé l’ouvrage «L’économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme?» (La Découverte). «Le néolibéralisme prône des phénomènes d’accélération extrêmes. Même quand vous lisez un poème, il s’agit d’aller le plus vite possible, au nom de l’hypercompétitivité, remarque-t-il. Cette dictature d’une attention standardisée est suicidaire, car elle étouffe l’attention créative, celle qui produit l’art, le design…»
La dictature de l’insomnie ne semble pas faire bon ménage non plus avec le couple. Justine vit avec un ingénieur et «morningophile» acharné, qui se lève à 3h45 pour nager plusieurs kilomètres, entre 5 et 6h – afin de faire les meilleurs temps aux compétitions de triathlon «Iron Man», dont il raffole – avant d’enchaîner sur des journées de bureau de 14h. Justine ne le voit plus de la semaine. «C’est mieux parce que dès qu’il rentre tôt, il est d’humeur exécrable. Sa discipline le met à fleur de peau. Il n’y a qu’en vacances, lorsqu’il s’octroie des grasses matinées jusqu’à 7h, qu’il est drôle et détendu.» La tendance early morning fait seulement miroiter un plus gros salaire. Personne n’a dit qu’elle rendait heureux…

https://www.letemps.ch/societe/2016/09/13/un-monde-neoliberal-sommeil-un-truc-losers?utm_source=facebook&utm_medium=share&utm_campaign=article

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